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Échos > 2015 > Abengoa, la chute du géant vert espagnol , le fleuron andalou du solaire et de l’éolien est au bord de la faillite

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Abengoa, la chute du géant vert espagnol

Par — 14 décembre 2015 à 19:06

Endetté de 25 milliards d’euros, le fleuron andalou du solaire et de l’éolien est au bord de la faillite, menaçant des dizaines de milliers d’emplois dans le monde.

Sauve qui peut ! Au bord de l’une des plus retentissantes banqueroutes de l’histoire espagnole, le géant des énergies renouvelables Abengoa sauvera-t-il sa peau ? Jusqu’au mois de mars, le suspense tiendra en haleine tout le pays - mais aura également des répercussions outre-Atlantique, des Etats-Unis au Brésil, où le groupe, basé à Séville, réalise 87 % de son chiffre d’affaires. L’enjeu est considérable : avec ses 28 700 employés (dont 7 000 en Espagne) et ses quelque 50 000 actionnaires, le fleuron industriel de l’Andalousie pourrait emporter dans sa chute des milliers d’emplois, entraîner la paralysie de mégaprojets et porter un coup dur à de grandes banques créancières. La Santander, première banque espagnole, et le Crédit agricole français sont notamment exposés.

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Une centrale solaire construite par Abengoa, à Sanlúcar la Mayor, en Andalousie.
Ce site possède la plus haute tour solaire du monde (au fond). Photo Paul Langrock. Zenit-Laif. REA

Champion groggy

Le sauvetage d’Abengoa est devenu une priorité du gouvernement Rajoy. «Ce sera un processus très complexe et très long», a auguré José Carlos Diez, chef économiste du cabinet de conseil Intermoney. Pour se faire une idée de la possible faillite, il faut se dire qu’elle équivaudrait au sauvetage de la gigantesque caisse d’épargne Bankia ou à la moitié des fonds européens utilisés pour sauver le système bancaire espagnol. L’hécatombe d’Abengoa serait aussi un coup de poing en termes d’image : dans un pays qui s’est distingué par son virage vers le renouvelable, le groupe était la référence ibère dans les secteurs du solaire, de l’éolien, des biocombustibles, du traitement de l’eau, etc. Bref, un champion environnemental… aujourd’hui groggy.

La tourmente a commencé le 25 novembre, lorsque le géant andalou s’est déclaré en défaut de paiement. La menace du dépôt de bilan crée aussitôt la panique, étant donné l’énormité d’une dette que les dirigeants d’Abengoa s’étaient efforcé de dissimuler au cours des mois précédents : 8,9 milliards d’euros. Un trou déjà abyssal qui grimpe à 25 milliards d’euros en additionnant l’ensemble du passif. D’ordinaire prudent, le ministre de l’Industrie, José Manuel Soria, tacle sévèrement les dirigeants de l’entreprise : «Le résultat d’une très mauvaise gestion financière ; un désastre qui va se payer très cher.»

Le scandale est d’autant plus grand que fin septembre, alors que les premières secousses du désastre se faisaient sentir, le patron historique, Felipe Benjumea, a discrètement quitté le navire avec un parachute de 11, 5 millions d’euros. Une pratique qui évoque l’Espagne des années 2000, lorsque les grands banquiers se faisaient licencier de leurs entreprises avec des pactoles records. «Ce genre de pratique est anachronique, a protesté le ministre de l’Economie, Luis de Guindos. Les dirigeants d’Abengoa doivent penser à leurs employés et à leurs actionnaires avant de protéger leurs intérêts propres.»

Il ne sera pas aisé de sauver les meubles. A court de liquidités, la multinationale espagnole a demandé en urgence un crédit de 100 millions d’euros - pour honorer les salaires de décembre - et 350 millions supplémentaires d’ici mars. Dans le cas contraire, c’est le dépôt de bilan assuré d’une société tentaculaire avec des usines dans 16 pays et une présence commerciale dans 80. Mais les sept banques concernées, échaudées par la sempiternelle voracité financière d’Abengoa, se montrent prudentes avant de mettre de nouveau au pot.

«Mauvaises surprises»

Des banques prudentes, voire soupçonneuses, depuis qu’en novembre 2014 l’agence de notation Fitch a publié un rapport au vitriol laissant entendre que la dette du groupe andalou était bien supérieure à celle annoncée. D’où le fait qu’au lendemain du pré-dépôt de bilan, il y a trois semaines, ces mêmes banques ont chargé le cabinet de conseil KPMG de scruter les entrailles d’Abengoa afin de déterminer le montant exact de ce qu’elle doit. «Il pourrait y avoir de bien mauvaises surprises, commente le quotidien économique Cinco Días. Depuis des années, le groupe n’est vraiment pas clair quant à ses comptes.» Le 3 août, Abengoa annonçait une augmentation de capital à hauteur de 650 millions d’euros qui, déjà, avait éveillé les pires craintes quant à sa situation comptable.

Dans l’attente du verdict où les banques créancières jouent gros, l’empire a commencé à se disloquer. Outre les 194 millions d’euros de pertes enregistrées depuis janvier, les 887 entreprises du holding andalou craignent pour leur avenir, lorsque le mal n’est pas déjà fait. Le carnet de commandes, estimé à 8,8 milliards d’euros, est menacé. Le mégaprojet thermosolaire à Denver (Etats-Unis), d’une puissance de 280 mégawatts et doté d’un budget de 2 milliards, a été mis entre parenthèses ; la filiale nord-américaine, Abengoa Yield (cotée au Nasdaq, considérée à Séville comme le joyau de la couronne) va être vendue ; la filiale mexicaine est en cessation de paiement ; au Brésil, son deuxième plus gros marché derrière les Etats-Unis, 5 000 postes sont menacés, et 1 500 licenciements ont déjà eu lieu.

Et ce, sans parler du risque grandissant de perdre de mirifiques contrats obtenus récemment. A l’image de la plus grande centrale de biomasse au monde, à Middlesbrough (Royaume-Uni), d’une valeur de 600 millions d’euros, qui doit être construite en partenariat avec le japonais Toshiba. Au total, disent les analystes, 6 milliards d’euros de projets en cours risquent de partir en fumée, avec leur lot de charrettes sociales.

Si le groupe n’est pas sauvé d’ici au mois de mars, le sang et les larmes sont assurés. Mais comment pareil mastodonte, l’orgueil de toute l’Andalousie, a pu tomber si bas ? Comment cette entreprise familiale de montages électriques fondée en pleine guerre mondiale (1941) par le très respecté capitaine d’industrie sévillan Javier Benjumea, qui avec son fils Felipe a réussi à en faire une multinationale admirée, a-t-il pu allonger la liste déjà bien remplie des fiascos économiques espagnols ?

La raison première est qu’Abengoa, qui avait misé très gros dans les énergies renouvelables, a subi le contrecoup de tout un secteur. Avant la crise, les gouvernements espagnols versaient de généreuses subventions au «renouvelable» ; comme d’autres groupes (Iberdrola, Acciona, ACS…), le sévillan s’est engouffré dans cette juteuse brèche, qui a empli les paysages espagnols de parcs éoliens et de vergers solaires. Or, depuis le krach immobilier de 2008, les aides publiques se sont taries. Le scénario a été le même aux Etats-Unis (marché crucial pour Abengoa), où la chute du prix du pétrole consécutive à l’essor du gaz de schiste a ralenti la vogue des énergies renouvelables. «En Espagne, sous le gouvernement socialiste de Zapatero, dit le chroniqueur Luis Montoto, Abengoa et les autres faisaient comme si ce robinet d’argent public serait éternel. Grave erreur.»

Les observateurs décrivent un groupe en proie au syndrome «docteur Jekyll et Mister Hyde». D’un côté, les ingénieurs d’Abengoa ont fait merveille par leur inventivité, surtout aux Etats-Unis, méritant l’éloge public du président Obama. Mais de l’autre côté, la multinationale a suivi le paradigme de l’entreprise espagnole vorace qui s’est développée de façon incontrôlée grâce à un endettement colossal, lui-même aidé pendant longtemps par l’extrême facilité du crédit et les bas taux d’intérêt. «On a acheté de la croissance avec du financement bon marché, au lieu de parier sur l’investissement et l’expansion rationnelle, affirme Alberto Gallo, directeur de la recherche crédit à RBS. Le cas Abengoa est symptomatique, je le crains, d’une bulle en train se former.»

Comptes maquillés

«La gestion financière du groupe a été une perpétuelle fuite en avant, éditorialise le journal Expansión. Pendant les bonnes années, le groupe n’a réalisé aucun effort pour diminuer sa dette colossale ni pour réinvestir ses bénéfices. Il s’est laissé enivrer par la pente savonneuse de l’endettement facile.» Quitte, lorsque la situation devint critique, à jouer l’opacité et à maquiller ses comptes. A la façon d’autres entités espagnoles ayant fait faillite dans un passé récent. En 2013, le géant des produits surgelés Pescanova reconnaissait une dette deux fois supérieure à l’officielle ; en 2014, le fournisseur de wi-fi Gowex, après avoir connu un envol boursier de 1 000 %, admettait aussi avoir truqué ses comptes. Pour ne pas citer Bankia - dont la dette avait atteint le chiffre faramineux de 90 milliards d’euros ! - finalement repêchée grâce aux fonds européens.

Aujourd’hui, en marge du feuilleton politico-financier (l’Etat espagnol est exposé à hauteur de 400 millions d’euros), les dispositifs de surveillance sont pointés du doigt. «Comment est-il possible, après les affaires retentissantes de Pescanova, Bankia ou Gowex, que les organismes de contrôle n’aient pas fonctionné ? s’indigne l’économiste Pedro Biurrun. Car c’est bien le problème de fond du scandale Abengoa : on a laissé pourrir une situation aux conséquences désormais catastrophiques.» En cause : les agences et cabinets de conseil en question (Fitch, EY et Deloitte), mais surtout la CNMV, l’Autorité des marchés financiers espagnole, pour ne pas avoir averti des dangers présentés par les comptes d’Abengoa ces dernières années. L’an passé, après le scandale de Gowex, le ministre de l’Economie avait pourtant juré : «Nous allons approuver une législation pour renforcer notre gendarme boursier et pour que pareille absence de contrôle ne se reproduise plus jamais.» Les employés et les actionnaires d’Abengoa lui en sauront gré.

François Musseau Correspondant à Madrid

 

 

 


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